I-b Les joies consommatrices des Trente Glorieuses
En 1970, 70 hypermarchés et 1200 supermarchés drainent les classes moyennes françaises. La plupart des français ont connu la privation pendant la guerre, et une telle abondance de produits directement à portée de main représente une sorte de bénédiction.
Le pouvoir d’achat a augmenté de manière considérable. Les Trente Glorieuses sont une période de plein-emploi, avec un taux de chômage qui ne dépasse jamais les 3% pour toute la période. Le revenu par habitant a triplé entre 1953 et 1967, et l’écart des revenus entre ouvriers et cadres supérieurs tend à se réduire. L’Etat-providence, notion apparue en 1945 et symbolisée par De Gaulle, instaure un certain nombre de réformes sociales qui permettent l’amélioration des conditions de vie : sécurité sociale, assurance maladie, régime des retraites. D’autre part, dans une France enrichie, la révolution scientifique et technologique participe à la démocratisation des produits de pointe. Dans ces conditions idéales, la société de consommation peut s’installer.
Toutes les classes sociales, toutes les tranches d'âges sont concernées par ce nouveau comportement consumériste qui fonctionne sur une logique du mimétisme : c’est cela la consommation de masse. Mr et Madame Dupont achètent une Citroën 2CV, la semaine suivante ce sont leurs voisins. La consommation d’agrément prend le pas sur la consommation de biens de première nécessité. Pendant la guerre, le budget d’un ménage était réservé à l’achat de produits alimentaires, de savon, de vêtements. Pendant les Trente Glorieuses, ce budget sert à se munir en biens de consommation durables : réfrigérateur, voiture, téléviseur, machine à laver, au logement, et aux services, notamment de loisirs. Les Trentes Glorieuses sont d'ailleurs pour cette raison la première "société de loisirs".
Ces services de loisirs font aussi l’objet de grandes évolutions. Des stations de sports d’hiver sont construites pour accueillir de plus en plus de vacanciers, comme Val Thorens en 1971. Les vacances estivales, de tradition plus ancienne, sont désormais banalisées. Il y a par exemple les clubs de vacances comme le club Med (créé en 1950) qui répondent à une nouvelle demande marquée par l’hédonisme et l’individualisme. Se développent aussi les agences de voyages à l’étranger, qui permettent aux plus fortunés de partir en séjour partout dans le monde. Les français ont désormais la main-mise sur tous les types de territoires, proches ou lointains, accessibles ou plus risqués, qui peuvent être exploités pour leur contentement personnel.
Affiche publicitaire pour le "Club Méditerranée", 1950
Varneige, à la fin des années 60
Autre aspect de la culture de masse, l’arrivée de l’électroménager dans les foyers constitue une vraie révolution, en particulier pour la femme. La magie des appareils domestiques la libère de bon nombre de contraintes. Elle a désormais l’opportunité de s’émanciper, de devenir une femme libérée heureuse et responsable. Elle peut par ailleurs accéder à la contraception, à des études longues, à l’emploi aussi: elle représente alors un salaire supplémentaire qui va venir accroître les revenus des ménages et encourager la consommation. L’autonomie financière lui est également permise : elle possède désormais sa propre carte de crédit. Elle devient ainsi la principale cible d’une publicité de plus en plus omniprésente, en particulier à la télévision et dans les magazines de presse féminine comme Marie Claire ou Elle. Prenons par exemple le slogan du robot charlotte Moulinex : « Pour elle, un Moulinex, pour lui, des bons petits plats. ».
Vive l'électroménager!
Mais la femme n’est pas la seule à marcher sur les voies de la consommation de masse. «L’homme moderne » est aussi le destinataire de la publicité : en écho au magazine Elle, naît le magazine Lui en 1963, magazine qui sera lu par près de 5 millions d’hommes. Dans les rayons supermarchés, on a d’un côté les bas DIM qui ne filent pas pour madame, de l’autre les lames Gillette pour monsieur. Tout le monde y trouve son compte.
Les ménages suivent les nouvelles stratégies marketing. Tout type de client peut être satisfait grâce à l'analyse de son profil et de ses habitudes. Il y a d'abord la "recherche et développement" depuis la modernisation structurelle des entreprises. Mais surtout, les grandes surfaces s'organisent de façon à pousser à l'achat: les produits sont regroupés dans les rayons selon des catégories variées, en plus grande quantité: on trouve de moins en moins d'articles à l'unité (le fameux format familial, si pratique!). D'autre part, la fidélisation du client est recherchée: paquets de gâteau contenant des vignettes à collectionner, une troisième bouteille de shampooing offerte pour deux achetées...intéressant, et même ludique. Enfin la notion de "soldes", se précise, désormais encadrée par la loi et annoncée par la publicité.
La génération des baby-boomers est une génération privilégiée, pour ne pas dire gâtée. Le marché du travail est abordable pour les aînés, les parents des plus jeunes sont financièrement à même de leur offrir le meilleur. La culture de masse est en grande partie incarnée par la jeunesse : la fascinante culture américaine, diffusée désormais par la télévision, la radio, le cinéma, la presse est un vrai modèle à suivre. Après Elle, après Lui, on a le magazine phare de la culture jeune populaire, Salut les copains, créé en 1959. Dans les pages de cette revue, rien ne manque pour inciter les jeunes à consommer made in USA : t-shirt, chewing-gum, Coca-Cola, jean etc. Ils écoutent également beaucoup de musique importée d’Amérique, avec les emblématiques électrophones Teppaz qui les font danser sur le son yé-yé (Johnny Hallyday, Sheila, Eddy Mitchell...).
Pourtant, paradoxalement, la jeunesse des sixties conteste : la révolte de mai 68 était en partie une critique de la société de consommation et de croissance.
Culture Pub - Rétro Pub - Coca-Cola.
Elvis en couverture de Salut les copains en 1962